Allocution prononcée par
le Général Charles de Gaulle
au Lycée de Galatasaray
(27 octobre 1968)
Monsieur le Ministre,
Excellences,
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Messieurs les Professeurs,
Mesdames, Messieurs,
Quelle secrète harmonie des événements fait que la visite que j’ai l’honneur de rendre à la Turquie coïncide avec le centenaire de Galatasaray ? J’en suis d’autant plus frappé que l’année 1868, date de la fondation de cet illustre lycée, a marqué pour votre pays le début de sa préparation à ce qui, un demi-siècle plus tard, allait être la marche vers la modernisation.
Il est vrai, qu’auparavant et pendant longtemps, la civilisation turque avait brillé d’un très vif éclat. Jusqu’au XVIIIe siècle, s’était développé chez vous un grand Etat, maître d’un grand Empire, disposant d’une grande armée et accomplissant une Å“uvre législative et administrative considérable. En même temps, la Turquie déployait dans tous les domaines de l’esprit un essor exceptionnel. Ses érudits, tel Evliya Çelebi, ses poètes, comme Baki, ses architectes par exemple Sinan, mais aussi ses mathématiciens, ses astronomes, ses navigateurs, ses artisans, étaient au premier rang. Sans doute au XIXe et XXe siècles, vit-on l’Occident, à son tour, jouer un rôle capital dans une civilisation que dominait l’industrie. Mais, chez vous les esprits éclairés n’en jugèrent pas moins que votre pays, sans aucunement renoncer à lui-même, devait ment renoncer à lui-même, devait mettre à profit les acquisitions nouvelles. Or, c’est surtout vers la France que, dans ce but, se tourna la Turquie. Prédilection qui confirmait les liens intellectuels joignant les deux nations, grâce, notamment, à leurs affinités profondes à l’Ecole des langues orientales fondée à Paris par Colbert, à l’échange constant d’étudiants et de professeurs, à l’Å“uvre des missions enseignantes et hospitalières françaises que vous acceptiez sur votre territoire.
Telle fut également l’origine de la décision prise, voici cent ans, par le Sultan Abdulaziz, à son retour d’un solennel voyage en France, quand il créa Galatasaray. On ne saura non plus oublier que cette fondation était l’aboutissement des efforts du grand Vizir Emin Ali Pacha et du Ministre Fuat Pacha et que le concours de notre Victor Duruy fut requis à cette occasion. Des hommes d’Etat éminents avaient compris, de part et d’autre que l’adaptation d’une partie à l’évolution de l’Histoire exigeait qu’au préalable y fût formée une élite apte à mettre en Å“uvre les idées et les disciplines nouvelles.
Comment méconnaître, en effet, le rôle qu’a joué, dans l’immense mutation accomplie de nos jours par votre pays, l’évolution intellectuelle et morale à laquelle a contribué la grande maison où nous nous trouvons ? Pour que la Turquie, entraînée par le génie et la passion d’Atatürk, ait su, au moment voulu, émerger vivante et ardente de ses terribles épreuves, devenir un Etat fortement national à partir de l’Empire cosmopolite qu’elle était, s’ouvrir d’un seul coup à toutes les sources du renouveau, on peut croire que les ferments reçus et cultivés ici par tant de jeunes gens qui devenaient, à mesure, hommes politiques, administrateurs, diplomates, soldats, professeurs, écrivains, ingénieurs, l’ont aidée à revêtir la forme qu’exigeait notre époque. Mais aussi, lorsque la France, la première de tous les Etats d’Occident, reconnut le gouvernement d’Ankara, il est certain que la valeur d’une élite bien connue chez nous était pour beaucoup dans la confiance nous portions d’emblée à la Turquie moderne
Voici qu’aujourd’hui la coopération intellectuelle franco-turque voit s’ouvrir les domaines sans limites de la recherche et de la connaissance scientifiques et techniques, inspiratrices de l’économie. Il n’est que de voir sarraus noirs et les cols blancs de votre innombrable jeunesse et de lire au fronton d’un de vos bâtiments universitaires que: “Dans la vie, le guide le plus sûr est la science”, pour discerner à quelles sources la Turquie, désormais, puise son avenir. Or, vous le savez sur le plan de la science fondamentale et de ses applications, la France d’à présent peut vous offrir beaucoup.
Car, malgré les retards qu’elle a subis du fait de la dernière guerre, elle a repris parmi les nations une place de choix à cet égard. Nos deux pays, que rien n’oppose, bien au contraire, dans aucune de leurs activités, savent, qu’ayant longuement coopéré dans le Droit les Lettres, les Sciences politiques et administratives, lis ont toutes les raisons d’en faire autant aujourd’hui dans les domaines scientifiques et techniques. A vrai dire, lis se rencontrent déjà sur bien des sommets des connaissances humaines, notamment en physique nucléaire ou en médecine, pour ceux qui est de l’hématologie, de l’immunologie, de la cardiologie etc… Mais quels fruits pourrait porter le travail en commun de leurs chercheurs et de leurs ingénieurs, par exemple, en matière d’agriculture, ou d’hydrologie, ou de télévision. Un accord qui serait conclu entre les deux gouvernements pour la coopération technique, surtout si vous vouliez l’accompagner du développement de l’enseignement du français, imprimerait aux relations de la Turquie et de la France un caractère vraiment exemplaire.
L’amitié des deux nations facilite en ce moment le rapprochement de leurs politiques, Cette amitié doit les aider à unir leurs efforts pour le progrès. C’est à dire qu’elle est l’objet de ma visite en Turquie. C’est à dire aussi de quel cÅ“ur j’exprime les souhaits de la France à Galatasaray tandis que ce célèbre établissement commence le deuxième siècle de sa vie et de ses succès.”.
Général Charles de Gaulle