Allocution prononcée par
le Président François Mitterrand
au Lycée de Galatasaray
(14 avril 1992)
Galatasaray est un symbole. En signant aujourd’hui l’accord qui fondera le nouvel établissement intégré, nous avons conscience d’engager nos deux pays pour de nouveaux temps dans une Å“uvre commune.
On ne peut prendre à la légère un tel engagement. Rappelons que la Turquie qui entretient avec la France des relations diplomatiques depuis un demi-millénaire, a avec nous des liens particuliers.
La tradition veut que l’idée de la création de ce lycée par Alî et Fouad Pacha en 1868, période de grand débat politique et intellectuel, ait pris forme lors d’une rencontre entre Victor Duruy et le Sultan Abdul Aziz durant son fameux voyage Ã
Le Président François Mitterrand
signe le livre d’or
du Lycée de Galatasaray
Paris. Victor Duruy, ministre de l’Education de Napoléon III, qui doit sa célébrité à son libéralisme et aux combats qu’il a menés pour promouvoir une instruction laique, obligatoire et gratuite, était persuadé qu’un enseignement très attaché aux valeurs nationales et locales, pratique et concret, pouvait avoir une portée universelle.
Pourrait-il y avoir plus bel exemple de la justesse de ses vues que le lycée de Galatasaray où, pendant cent vingt-trois ans, des centaines d’enseignants Français ont, avec leurs camarades Turcs, éduqué près de cinquante ministres de la République de Turquie, davantage encore d’ambassadeurs, plus de deux cents parlementaires, quelques journalistes, des professeurs d’université, sans compter une pléiade d’écrivains et d’artistes.
Vraiment il eut été inconvenant de laisser péricliter cet héritage et de ne pas conjuguer nos efforts pour relever ensemble ce défi que nous lancent partout dans le monde les progrès de la science et de la technique mais aussi les questions que posent aux éducateurs d’aujourd’hui ce que certains philosophes appellent la crise de la culture et même les risques de retour aux temps de violence ou de barbarie. Nul ne peut prétendre avoir sur ce point toutes les réponses, et c’est seulement de la conjonction des efforts entre deux grands pays, deux grandes cultures que naîtront peut-être les solutions, en tout cas elles seront cherchées. Tel est le sens de l’accord signé aujourd’hui entre nos deux ministres des Affaires Etrangères pour promouvoir l’Etablissement d’enseignement intégré de Galatasaray. Ce projet dont l’accord trace seulement les grandes lignes doit en lui-même inaugurer un nouveau cycle de discussions et de débats au mieux des intérêts de tous ceux qui incarnent les valeurs que j’évoquais, qu’ils soient ou non originaires de Galatasaray.
La Turquie a fait honneur à notre culture et à notre langue française que de les choisir comme instrument de modernisation et d’ouverture au monde. Cette quête de modernité ne sacrifie rien de l’identité nationale. Galatasaray doit son succès et sa pérennité si remarquables à cette greffe réussie de valeurs universelles sur les qualités réelles et profondes du peuple Turc.
Et bien cette réussite, nous en conviendrons doit être le départ d’une nouvelle entreprise, alors que tout autour de nous, et jusqu’au cÅ“ur de l’Europe, naissent de nouveaux sujets d’inquiétude. L’œuvre à poursuivre ici en français, entre nos pays, continue de porter témoignage pour notre ambition commune, celle qui consiste à apporter notre contribution à la culture européenne du siècle prochain.
En tout cas, je veux dès maintenant remercier à la fois le gouvernement Turc qui a couvert de son autorité cette ambition, cette construction, et la Fondation de Galatasaray pour avoir eu l’initiative de ce nouvel établissement. Soyez-en certains, naissent ici de nouvelles jeunesses et de nouveaux espoirs et ainsi se perpétuera l’amitié entre la Turquie et la France.
François Mitterrand